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Valeur du pétrole
30.03.24 Expertise comptable et accompagnement

Monde de brut : la valeur du pétrole

Par Stéphane Barbier de la Serre, éditorialiste Denjean & Associés

Que vaut le pétrole ? La question peut sembler provocatrice. Le pétrole n’est-il pas aujourd’hui le marché le plus scruté au monde ? Pourtant, son vrai prix demeure difficile à cerner pour au moins trois raisons.

Pétrole : un même nom pour des qualités différentes

Comme le vin, le pétrole vient de la terre : petra oleum, l’huile de la terre… Faut-il donc s’étonner que sa qualité dépende ultimement de son « terroir » ? Concrètement, il existe aujourd’hui de multiples qualités de pétrole, des plus légères aux plus lourdes, voire bitumineuses… Plus aisés à raffiner, les « crus » les plus légers sont les plus recherchés et donc les plus chers. Ce sont ceux dont on parle dans les médias, tout particulièrement le Brent, qui se trouve être la variété la plus chère. Mais, là encore, il en existe de nombreuses autres qui traitent parfois, et là est le point, avec des décotes significatives.

Une volatilité des cours exacerbée

Depuis le début de la crise ukrainienne, ce qui frappe dans les prix du pétrole, davantage encore que leur envolée, c’est leur extrême volatilité, Si l’on prend l’exemple du Brent, il traitait aux alentours de 97$ le baril le 23 février. Le 24, c’est-à-dire le jour de l’entrée de l’Armée rouge en Ukraine, il monte à 106$. Ces gains sont toutefois de très courte durée puisqu’il revient plus bas que son point de départ, aux confins des 95 dollars, dès le lendemain…Qu’à cela ne tienne, il reprend dès lors le chemin de la hausse, atteignant la barre des 120$ le 3 mars. Et le mouvement haussier atteint son paroxysme le 7 mars, à 139$, sur fond de rumeurs d’embargo européen sur les hydrocarbures russes. Mais ces rumeurs étant infirmées, les cours s’inversent alors violemment à la baisse : le baril revient à son point de départ, la zone des 97$, le 13 mars ; avant de repartir tout aussi violemment à la hausse, la barre des 125$ étant à nouveau testée le 24 mars…

Le constat est simple : nul ne saurait affirmer ce que peut valoir aujourd’hui le pétrole. Alors comment des États, des collectivités, des sociétés ou a fortiori des particuliers pourraient-ils sérieusement établir des budgets prévisionnels de consommation d’énergie dans un contexte où la volatilité le dispute à l’absence de visibilité ? Bison Futé n’y retrouverait pas ses petits…

L’inconnue asiatique

Le jeu lourdement ambigu de certains grands importateurs d’énergie asiatiques complique la donne énergétique.

En effet, même s’il n’est pas à ce stade sous embargo international, stricto sensu, le pétrole russe trouve bien sûr aujourd’hui plus difficiment preneur, pour des raisons aussi bien éthiques que liées à de plus terre à terre contraintes d’assurances. Ceci occasionne une importante décote, pouvant dépasser les 30$ par rapport au Brent sur le baril « Oural ». Et de tels « discounts » commencent à susciter des convoitises chez certains gros importateurs d’hydrocarbures asiatiques, au premier rang desquels l’Inde, qui s’est déjà officiellement portée acquéreuse de 6 millions de barils russes depuis début mars.

En outre et encore plus crucialement sans doute, la Chine, par-delà les pressions de la communauté internationale, est susceptible d’accroître ses achats d’Oural, lesquelles atteignaient déjà 1,6 million de barils/jour avant la guerre, soit 15 % de ses importations de pétrole.

Nous n’en sommes vraisemblablement encore qu’aux prémices d’une vaste redistribution des cartes du négoce international des hydrocarbures, qui rend toutes projections à court ou moyen terme des prix du pétrole illusoires pour l’heure. Si l’on reprend l’exemple indien, il est intéressant de rappeler que le pays est le troisième importateur mondial de pétrole et que l’Oural représente aujourd’hui moins de 5 % de ses achats. Mais, incidemment, 85 % des équipements militaires indiens sont d’origine russe. Monde de brut…

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Stéphane Babier de la Serre

Professionnel des marchés financiers depuis 1987, Stéphane Barbier de la Serre y a exercé diverses responsabilités dans l’ensemble des lignes de métiers (analyse, trading, vente institutionnelle, advisory) et sur toutes les grandes classes d’actifs (actions, obligations, matières premières, changes). Il a notamment été responsable de l’Advisory chez Diapason Commodities Management à Lausanne et stratégiste macro pour le groupe Makor à Genève. Il est aujourd’hui expert indépendant et éditorialiste, notamment chez Denjean & Associés.

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