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27.11.25 Tax & Legal Advisory

Prépondérance immobilière : seuil de 50 %, actifs concernés et pièges à éviter

Article rédigé en collaboration avec Manon Jourdan, fiscaliste chez Denjean & Associés dans le département Tax & Legal Advisory.

La notion de prépondérance immobilière occupe une place singulière en fiscalité française, en raison de sa définition variable et des conséquences fiscales que cette qualification entraîne. Son appréhension est cruciale pour définir le régime d’imposition d’un certain nombre d’opérations – notamment en cas de cession de titres de sociétés pour la taxation de la plus-value et pour les droits d’enregistrement – ou l’application de certaines taxes spécifiques comme la taxe annuelle de 3 % sur la valeur vénale des immeubles situés en France (« Taxe de 3 % »). Sa définition, pourtant fondée sur un seuil arithmétique de 50 % de « valeur immobilière » dans l’actif d’une entité, est à l’origine de nombreux contentieux, témoignant des difficultés persistantes à cerner son périmètre exact.

À la lumière des décisions jurisprudentielles les plus récentes, cet article propose de faire le point sur cette notion en constante évolution*, au regard de l’impôt sur les sociétés (« IS »), des droits d’enregistrement (« DE »), et de la Taxe de 3 %.

1. Points de convergence et de divergence dans la définition

Malgré la diversité des textes, la logique de seuil est commune à toutes les définitions : la société est considérée à prépondérance immobilière (« SPI ») lorsque plus de la moitié de la valeur de son actif provient, directement ou indirectement :

  • d’immeubles,
  • de « droits immobiliers » (DE) / « droits portant sur des immeubles et droits afférents à un contrat de crédit-bail » (IS) / « droits réels portant sur des immeubles » (Taxe de 3 %),
  • de participations dans des personnes morales elles-mêmes à prépondérance immobilière.

Pour cette logique de seuil, il s’agit donc de calculer un rapport prenant en compte au numérateur les immeubles/droits visés ci-dessus/participations dans des SPI et au dénominateur la totalité de l’actif, lesdits actifs étant retenus pour leur valeur réelle.

En IS, pour le régime d’imposition des plus-values sur cession de titres de SPI non cotées (a sexies-0 bis du I de l’article 219 du CGI), le Conseil d’État a récemment jugé que si la prépondérance immobilière s’apprécie au regard de la valeur réelle des éléments de l’actif, notamment des titres détenus dans d’autres SPI non cotées, l’administration fiscale peut retenir la valeur comptable à défaut pour le contribuable de démontrer que la valeur réelle s’écarte de leur valeur comptable (CE, 8 octobre 2025, n° 493896). La valeur comptable ne constitue alors qu’une référence par défaut, susceptible d’être écartée à la lumière d’éléments probants établissant la valeur réelle. Une telle démonstration passera dans la plupart des cas par la production d’un rapport d’expert indépendant.

Plusieurs points de divergence apparaissent cependant pour le calcul du rapport.

Le premier concerne le traitement des immeubles affectés à l’exploitation professionnelle. En matière de plus-values sur cession de titres de SPI non cotées, sont écartés les immeubles utilisés comme moyens permanents d’exploitation. Cette distinction vise à ne pas assimiler une entreprise exploitante à une société patrimoniale dont l’objet serait la pure détention immobilière. L’administration fiscale précise à ce titre que « Lorsqu’une société détient un immeuble affecté à l’exploitation d’une autre société, cet immeuble n’est pas considéré comme un moyen permanent d’exploitation de la société propriétaire, nonobstant l’existence de liens de dépendance entre la société propriétaire et la société utilisatrice du bien. Pour l’appréciation de la prépondérance immobilière de la société utilisatrice, il n’y a toutefois pas lieu de retenir au numérateur, les titres de sociétés à prépondérance immobilière inscrits à l’actif de la société utilisatrice lorsque les immeubles détenus par ces sociétés sont principalement affectés à l’exploitation industrielle, commerciale, agricole ou non commerciale de la société détentrice » (BOI-IS-BASE-20-20-10-30 n° 110, 31-12-2013). Ainsi, une société exploitant un fonds de commerce dont les murs lui sont loués par sa filiale qualifiant individuellement de SPI, ne sera elle-même pas considérée comme une société à prépondérance immobilière. La cession des titres de la société exploitante bénéficiera donc du régime des plus-values à long-terme. Toujours en matière de plus-values, le tribunal administratif de Nice (TA Nice, 17 juillet 2025, n° 2105025) a récemment rappelé que les immeubles qui constituent l’objet même de l’activité sont pris en compte dans le ratio de prépondérance immobilière. Tel est le cas des sociétés ayant pour objet principal l’acquisition, la construction et la mise en location d’immeubles quand bien même elles exercent par ailleurs une activité commerciale.

La nature des actifs immobiliers (autres que les immeubles et les titres de SPI) à prendre en compte au numérateur est un second point de divergence. Si le législateur mentionne les droits réels pour la Taxe de 3 %, pour les droits d’enregistrement il vise les « droits immobiliers », et pour l’IS les « droits portant sur des immeubles ». Or seuls les droits réels immobiliers correspondent à une réalité juridique. Cette difficulté prend tout son sens quand il s’agit de déterminer le sort des droits du crédit-preneur en cas de crédit-bail immobilier. Si les droits afférents à un contrat de crédit-bail portant sur un bien immobilier à usage professionnel sont expressément visés en IS (a sexies-0 bis du I de l’article 219 du CGI) qu’ils figurent ou non au bilan du crédit-preneur (CAA Versailles – 1re chambre, 9 juillet 2025, n° 23VE00314), il n’en va pas de même pour les droits d’enregistrement pour lesquels seuls les « droits portant sur des immeubles » sont visés. On peut donc se réjouir de la lecture restrictive du texte de l’article 726, I, 2° du CGI à laquelle s’est livrée la Cour d’appel de Paris dans un arrêt du 26 mai 2025 (CA Paris, n°22/10251), pour juger que la cession des titres d’une société ayant la qualité de crédit-preneur d’un actif immobilier n’est pas susceptible d’entraîner l’exigibilité des droits de 5 % dès lors que le crédit-preneur ne détient aucun droit réel immobilier sur l’actif. Pour la Taxe de 3 %, le même raisonnement devrait être suivi le texte visant expressément les droits réels (article 990 D du CGI).

La dernière différence à relever réside dans la date d’appréciation de la prépondérance immobilière. Alors qu’en droit d’enregistrement elle s’apprécie à la date de la cession, ou au cours de l’année précédant la cession (calcul de data à date a priori, avec la difficulté pratique que cela implique), en Taxe de 3 % il faudra se placer au 1er janvier de l’année, et en IS à la date de la cession des titres où à la clôture du dernier exercice précédant la cession.

2. Des conséquences fiscales à apprécier avec prudence

De manière générale, le régime résultant de la qualification de société à prépondérance immobilière est plutôt défavorable.

En matière de plus-values, la qualification de SPI exclut les cessions de titres du régime des plus-values à long-terme (exonération sous réserve d’une quote-part de frais et charges de 12 %), entraînant leur imposition au taux normal de l’IS. En revanche lorsque les titres ne sont pas cédés mais qu’ils font l’objet d’une provision, le Conseil d’État a précisé que la prépondérance immobilière doit s’apprécier soit à la clôture du dernier exercice précédant la constitution de cette provision de la société dont les titres sont détenus, soit à la date à laquelle la provision est constituée, c’est-à-dire à la date de clôture de l’exercice de la société qui détient les titres (CE avis 22-11-2019 n° 432053, Sté L’Auxiliaire). La doctrine administrative selon laquelle la prépondérance immobilière s’apprécie à la date de clôture de l’exercice de la société mère (BOI-IS-BASE-20-20-10-30 n° 70, 31-12-2013) avait précédemment été annulée par le Conseil d’État (CE 14-10-2015 n° 387249, Société L’Auxiliaire). Cette doctrine ne peut donc plus être invoquée. En revanche, les modalités d’appréciation de la prépondérance immobilière en cas de reprise de provision demeurent aujourd’hui non tranchées. Selon les situations, le régime fiscal applicable à la reprise pourrait donc différer de celui de la dotation.

Lorsque la dotation a été déduite et que la reprise est taxable en raison de la prépondérance immobilière, il peut en résulter une charge d’IS significative lors de la reprise alors même que la société n’a réalisé aucun profit économique : une provision déductible supérieure à 1m€ ne génèrera de déficit reportable imputable sur l’exercice de la reprise que dans la limite de 1m€, majorée de 50 % de la fraction du bénéfice excédant ce seuil. Or, en matière immobilière, les provisions peuvent atteindre plusieurs dizaines voire centaines de millions d’euros, générant au moment de la reprise un IS substantiel sans que la société ne dispose de la trésorerie correspondante. Le tribunal administratif de Marseille a été saisi à ce sujet d’une question prioritaire de constitutionalité au motif que le mécanisme de plafonnement des déficits pouvait contrevenir aux principes d’égalité devant la loi et devant les charges publiques, en créant une différence de traitement entre les sociétés dont le bénéfice repose sur la reprise de provisions fiscales, et celles dont le bénéfice repose sur des liquidités propres. Le tribunal administratif, considérant que le résultat comptable constitue un agrégat de charges et de produits et ne se limite pas aux seules reprises de provisions a toutefois rejeté cette demande (TA Marseille, 2 septembre 2024, n° 2209763). Dans une période où les valeurs immobilières ont subi des décotes significatives, la question du coût fiscal des futures reprises de provision est d’autant plus d’actualité.

En matière de droits d’enregistrement, la cession de titres de SPI justifie l’application d’un droit de 5 % contre 0,1 % en cas de cessions de participations dans des sociétés de capitaux (si elles sont constatées par un acte s’agissant des actions cotées) ou 3 % sur les parts sociales. Pour la Taxe de 3 %, à moins de se prévaloir d’autres cas d’exonération, et sous réserve de certaines conditions, une SPI (précisément une société dont les actifs immobiliers représentent moins de 50 % des actifs français détenus directement ou par l’intermédiaire d’une ou plusieurs entités juridiques) ne pourra s’exonérer de la taxe que par la souscription de déclarations annuelles ou de la prise d’un engagement relatives à certaines informations (article 990 d) ou e) du CGI).

*Sont exclues du périmètre de cet article les enjeux spécifiques pour les personnes physiques et les non-résidents.

Retrouvez cet article sur Option Finance.

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