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19.04.24 Expertise comptable et accompagnement

C’est une récession ? Non, monsieur le président, c’est une révolution !

Par Stéphane Barbier de la Serre, éditorialiste Denjean & Associés

Dans la nuit du 14 au 15 juillet 1789, le grand maître de la garde-robe du roi, François Alexandre, duc de la Rochefoucauld-Liancourt, inquiet de la tournure que prenaient les évènements parisiens, prit la liberté de réveiller Louis XVI pour lui raconter par le détail ce qui venait de se dérouler à la Bastille. « Mais c’est une révolte ? lui demanda surpris le roi – Non, Sire, lui répondit gravement mais lucidement le duc, c’est une révolution ! ».

Une erreur de diagnostic majeure

Et on peut légitiment se demander si ce célèbre échange, qui sonnait le glas de l’Ancien Régime, ne pourrait pas être transposé aujourd’hui pour décrire, allégoriquement bien sûr, la rupture, vraisemblablement historique, à laquelle nous assistons sur la scène macro-économique mondiale. De fait, à l’image du malheureux Louis XVI, tout part d’une erreur de diagnostic. À ceci près que celle-ci est collective, ou presque…Mais de quelle erreur parle-t-on au juste ? Il s’agit bien sûr de celle qui, pour des légions de banques – centrales ou autres – d’États souverains ou même d’instances supranationales a, jusqu’à une époque très récente, consisté à soutenir mordicus, et surtout contre toute évidence, que l’inflation, désormais en lévitation depuis plus d’un an déjà, s’avérerait transitoire. Plus qu’une erreur, une faute…

Un choc monétaire et financier historique

Alors, bien sûr, les mauvaises langues auront beau jeu d’ironiser qu’étant objectivement l’une des principales sources des dérives inflationnistes de l’heure, les banques centrales ne pouvaient décemment jouer les Cassandre en la matière… Par ailleurs, elles ne pouvaient certes prévoir la crise ukrainienne ni peut-être même la disruption de plus en plus endémique des chaînes d’approvisionnement mondial sur fond de coronavirus tout aussi endémique. Mais là n’est pas ou plutôt n’est plus la question : la cruelle réalité est qu’après des mois de déni les banquiers centraux sont désormais contraints de brutalement inverser la vapeur – monétaire – pour limiter les dégâts systémiques causés par la collision avec l’iceberg inflationniste. Mais cette inversion monétaire occasionne bien sûr mécaniquement un coût financier et celui-ci est d’ores et déjà pharaonique. Alors, certes, les esprits forts pourront là encore dire que les instituts d’émission ne font finalement que reprendre d’une main inflexible ce qu’ils ont distribué sans compter de l’autre…Mais l’addition n’en demeure pas moins sévère pour les marchés : les actions américaines ont connu leur pire premier semestre depuis 1970 ; mais surtout, à l’exception évidente des matières premières, toutes les classes d’actifs ont été violemment impactées, fait rarissime dans l’histoire des marchés. A cet égard, notons que, selon Deutsche Bank, le marché des emprunts d’État a connu son pire début d’année depuis, cela ne s’invente pas, 1788…

Le vrai choc sera-t-il social et politique en fin de compte ?

Par-delà l’impact monétaire et financier évoqué ci-dessus, la vague inflationniste marque également une rupture économique – et donc sociale…- de grande magnitude. Si l’impact de la hausse tendancielle des prix sur l’activité, la croissance et les revenus est par essence ambigu et difficile à apprécier, il est certain en revanche que l’inflation crée un climat d’incertitude, particulièrement à l’heure de l’établissement des budgets ou des négociations salariales. Car, par définition, si les États ou les banques centrales ne parviennent pas à l’anticiper, comment les entreprises ou les familles en seraient-elles capables ? Mais le vrai, l’ultime impact de l’inflation pourrait bien in fine relever de la politique, et pas au sens monétaire cette fois. Rappelons à cet égard, que la France a connu une grave crise financière en 1787 sur fond de dérive incontrôlée des dépenses publiques, notamment du fait du soutien inconditionnel apporté à la guerre d’indépendance américaine. En conséquence, le service de la dette atteint alors 42 % des recettes de l’État et le royaume de France est virtuellement en banqueroute ; détail fascinant, la dette nationale, jugée irremboursable à l’époque, représente alors environ 80 % du PIB… Quoi qu’il en soit, l’inflation à cette époque trouve surtout sa source dans l’envol du prix des denrées, suite aux mauvaises récoltes de 1788 : entre 1787 et 1789, le prix du pain augmente de 75 % dans le royaume ! Dans un si délétère contexte, Louis XVI est contraint de convoquer les États généraux, qui se réuniront finalement à Paris à partir de mai 1789 avec les conséquences historiques que l’on sait.

Au final, le virulent bacille inflationniste n’a sans doute pas fini de bouleverser le paysage monétaire, financier, économique social et peut-être surtout politique, à l’échelon aussi bien national qu’international : nouveau régime ou désordre nouveau ?

 

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