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29.03.24

Baux commerciaux : « Loyers Covid », le monde d’après

Face aux incertitudes judiciaires, il est bienvenu que le Tribunal judiciaire de Chartres ait saisi la Cour de cassation (n°21-70.013), qui, si elle estime les conditions de saisine remplies, répondra enfin à trois questions importantes que se posent les praticiens des baux commerciaux depuis un an et demi concernant les « loyers Covid ».

L’avis de la Cour, prévu le 5 octobre prochain, qui n’aura certes pas valeur contraignante, mais qui constituera un baromètre, est attendu de pied ferme, qu’il s’agisse des plaideurs, impatients de savoir quels leviers contractuels « marcheront », mais également des rédacteurs, qui devront en tirer les conséquences dans les actes à conclure.

  • Le preneur peut-il opposer l’exception d’inexécution pour refuser de payer les « loyers Covid » ?

L’exception d’inexécution désigne le refus d’une partie d’exécuter une obligation contractuelle exigible à raison de l’inexécution grave par l’autre partie de sa propre obligation (article 1219 du Code civil).

Dans le contexte de la crise sanitaire, pour refuser d’exécuter leur obligation de paiement, certains preneurs, empêchés d’exploiter leur local, ont soulevé le manquement grave à l’obligation de délivrance et/ou de jouissance paisible mise à la charge du bailleur (article 1719 du Code civil).

La Cour de cassation devra se prononcer sur le point de savoir si le manquement à ces obligations peut être constitué alors même que le bailleur n’a aucun pouvoir, ni contrôle sur l’événement ayant entraîné l’empêchement de l’exploitation.

  • L’exécution du bail, et notamment, l’obligation de paiement des « loyers Covid », peut-elle être suspendue pour cause de force majeure ?

En cas de survenance d’un événement « échappant au contrôle du débiteur, qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat et dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriés » rendant temporairement impossible l’exécution d’une obligation, celle-ci est suspendue pour la durée de l’événement (article 1218 du Code civil).

Dès le premier confinement, cet argument a été affiché comme l’arme absolue. Ainsi, la fermeture administrative ordonnée par les pouvoirs publics pour lutter contre la propagation du virus « ne pouvait que » constituer un cas de force majeure de nature à suspendre temporairement l’exécution du bail (tant l’obligation de délivrance du bailleur que l’obligation de paiement du preneur).

Cela ne va pourtant pas de soi.

Dès lors, l’éclairage de la Cour de cassation ne manquera pas d’intéresser tous les praticiens du droit des contrats commerciaux car, si l’existence de ce cas de force majeure était confirmée en matière de bail commercial, le raisonnement de la Cour pourrait être transposé à d’autres domaines contractuels.

  • Le locataire dont l’exploitation est empêchée par une fermeture administrative subit-il une perte partielle de la chose louée justifiant une dispense de paiement des « loyers Covid » ?

Lorsque la chose louée est détruite en partie, « le preneur peut, suivant les circonstances, demander une diminution du prix ou la résiliation même du bail » (article 1722 du Code civil).

Des plaideurs habiles ont soutenu, avec un relatif succès, d’ailleurs, que l’interdiction temporaire d’exploiter des locaux commerciaux imposée par les pouvoirs publics équivaudrait à une perte partielle de la chose louée, justifiant une dispense de paiement des loyers pour la période considérée, la notion de destruction n’étant pas nécessairement physique.

Là encore, il appartiendra à la Cour de cassation de statuer, étant relevé que l’article 1722 du Code civil ne prévoit pas seulement la réduction du loyer, mais aussi la résiliation du bail. Si la perte partielle de la chose louée était admise sur le principe, certains preneurs pourraient donc s’en prévaloir pour tenter de se défaire d’un bail dont ils ne voudraient plus.

A n’en pas douter, il y aura, pour les baux commerciaux, un « monde d’après ».

Les aménagements que bailleurs et preneurs parviendront à faire apporter à toutes ces dispositions, qui pouvaient précédemment apparaître comme – presque – de pure forme dans un bail, seront cruciaux dans la recherche d’un équilibre contractuel et surtout, dans la gestion constructive de crises futures auxquelles tout le monde s’attend désormais.

Plus encore qu’auparavant, les rédacteurs chercheront à prévoir l’imprévisible et leurs clients ne penseront plus que le pire ne peut pas se produire.

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